SINDBADBOY Editions
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Le 9e Jour
 




[...] Comme il venait d’ouvrir la porte pour sortir, Jacques Lucas s’arrêta net.
Le géant noir, qu’il avait dû contourner quelques heures plus tôt pour pénétrer dans les locaux de l’agence, se tenait toujours là les bras croisés, parfaitement immobile, planté au milieu du couloir.
La main sur la poignée, Jacques Lucas se tut et observa.

L’homme, un colosse, devait mesurer deux bons mètres et compensait sa totale absence de cheveux par une épaisse et courte barbe. Mais là n’était pas le plus étonnant.
Dans un silence de cathédrale, l’inconnu semblait regarder voler un insecte fou. Une invisible mouche sursaturée de caféine tournoyant devant lui. Seul signe d’activité sur son visage par ailleurs impassible, les yeux de l’homme suivaient l’improbable sarabande.
Jacques Lucas considéra le curieux personnage, puis l’encadrement de la porte… Après une rapide évaluation, il estima que l’inconnu ne la franchirait pas sans encombres.

— Monsieur ? demanda le détective belge.
— Bêlizââirrre…, répondit Laurier Bélizaire. Lôrrrier Bêlizââirrre.

L’homme avait un accent impossible, un Québécois à n’en pas douter, mais Jacques Lucas ne releva pas :

— Je peux savoir ce que vous regardez, Monsieur… Bêlizâire ?
— Un virus…
— Un virus ?
— Un virus.
— Ah…
— Y sont gros en maudit chez vous aut'.
— Pardon ?
— Y sont gros en maudit chez vous aut' !
— Ah… bien. Je vous crois sur parole… Et c'est un virus de quoi ?
— Fais donc pas l'niaiseux ! On peut pas pantoute identifier un virus à l'œil nu.

Lucas hésita. Ou ce mec était dingue, ou il se foutait de lui. Appréciant la taille du type et son drôle de vocabulaire, il pencha, bon prince, pour la folie… L'inconnu ne se doutait même pas qu'il venait d'échapper au pire.

— Je me disais aussi…, approuva Jacques Lucas en inspectant la proche périphérie de l'étranger. Vous êtes quelque chose comme… chercheur ?

Laurier Bélizaire oublia immédiatement l'existence du germe, roula des yeux terribles et plongea un regard suspicieux dans celui du détective.
— Comment tu sais-tu ça toi ?! grogna-t-il en approchant son visage de celui de Lucas.
— Holà du calme !… C'était juste une supposition !
— Mouais…
— Je vous assure ! poursuivit le Belge en repoussant doucement mais fermement l'inconnu. Et puis, mettez-vous à ma place deux secondes : vous sortez de votre bureau et vous tombez sur un type qui raconte qu'il y a des virus de la taille de corbeaux dans les couloirs ! ça aide tout de même pas à la sérénité, ce genre de choses !… Allez, dites-moi tout, Monsieur Bêlizâire : on a localisé quelque chose de suspect dans le bâtiment ? Une fuite de produit toxique ? Une épidémie en route ? 
[...]


 

************

 

[...] Pour la première fois depuis une éternité, Neven se souvint de ce qu’était la peur. Il retint sa respiration pour écouter. Dans son délire, il était persuadé d’avoir une perception des événements multipliée par dix, mais il n’entendit rien.

C’est tous les sens en éveil qu’il poursuivit l’exploration du rez-de-chaussée.

Il trouva Pavle assis à la table du salon, son arme encore à la main. La détonation entendue de la chambre provenait de son Magnum. Sa propre balle avait traversé la mâchoire de Pavle avant de lui exploser le haut du crâne. Il ne restait quasiment rien de sa tête, éparpillée un peu partout autour de lui, mais Pavle ne se serait jamais suicidé. Le tueur s’amusait avec ses hommes, comme un chat avec une souris.

— T’es où, fils de pute ? gueula Neven, prêt à vider son chargeur au moindre mouvement alentour. Qu’est-ce que tu veux, bordel ?

Son dernier homme, Darko, était dans l’une des chambres du bas, dans son fauteuil préféré.
L’assassin l’avait égorgé avec une telle violence qu’il l’avait presque décapité. Sa tête penchait sur l’arrière, exposant une plaie aussi large qu’un sourire féroce.

Neven était pétrifié. Il sentait la présence de l’autre, caché là, quelque part dans l’ombre, attendant le moment opportun pour lui tomber dessus : la seconde d’inattention. Il essayait de se concentrer, de garder son calme. Mais il n’y parvenait plus. Il devait pourtant trouver un moyen de s’en sortir.

Il hésita à ouvrir la fenêtre devant lui, là, maintenant, et à sauter, à s’enfuir à toutes jambes. Il pourrait peut-être se cacher dans une haie ou bien rejoindre la rue et se mettre sous une voiture. Mais il savait que c’était inutile. Rien ne pourrait arrêter son bourreau. Comme dans un cauchemar, Neven savait que le spectre serait toujours là, tapi dans l’ombre. Où qu’il aille, il le trouverait. Il avait d’abord pensé que la chose se dirigeait grâce à l’odeur de la peur qu’elle engendrait. Mais non, c’était bien pire. Les exhalaisons de sa propre mort baignaient sa proie depuis toujours. Même s’il l’ignorait encore, Neven n’était déjà plus qu’un cadavre en putréfaction. Un mort-vivant.

Les bras en croix, offert, il alla se planter au milieu de l’immense hall et hurla en tournant sur lui-même :

— Tu veux me prendre, fils de pute ? Alors viens !

La fille apparut en haut de l’escalier. Elle avait enfilé un peignoir et tenait sur son visage, une serviette blanche rougie par le sang. Neven s’arrêta pour la regarder. Il y avait de la haine dans ses yeux.

— Retourne dans la chambre ! lui ordonna-t-il en agitant son pistolet.

Seulement la fille ne bougea pas. Son regard avait changé. Neven y lut de l’effroi. Une terreur sans nom. Mais ce n’était pas son arme qui la lui inspirait. Non, pas plus que ce n’était lui qu’elle fixait. C’était ce qui se tenait derrière, dans son dos.
Et il comprit que c’était fini pour lui. 
[...]
 

************

 
 



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