SINDBADBOY Editions
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   — Hein, fils ! C’est pas possible ? avait dit l’homme en regardant son jardin, des larmes plein les yeux. C’est pas réel, ce truc ? C’est jamais qu’une expression à la con, pas vrai ?… Juste une expression à la con ?…

À cet instant, Calgary lui aurait bien répondu, mais il n’avait pas pu. Et ce n’était pas de voir les crânes de plâtre d’Atchoum et Simplet explosés aux quatre coins de la pelouse qui lui causait cet effet-là, non, c’était l’état de son pauvre père qui l’avait laissé sans voix.

Devant l’étrangeté de la scène, au lieu de le réconforter pour sa foutue collection de nains de jardin réduite en miettes, Calgary n’avait rien trouvé d’autre à faire que de hausser les épaules. Et il s’en était voulu.

 

Non, aurait-il dû répondre à son père en larmes, quand il le lui avait demandé, non, ce n’était pas qu’une expression à la con… Mais il était resté sans voix.

 

Il jetait maintenant un coup d’œil à la façade de cette bicoque que le vieux refusait de quitter depuis toujours. Juste au pied du mur maculé de sang, devant la fenêtre de la chambre, le béton était fêlé sur deux bons mètres. L’impact avait dû être terrible. Calgary se tourna, regarda les animaux désarticulés encore encastrés dans la pelouse, et secoua la tête :

 

  Bordel, j’en reviens pas. Il aurait pu y rester…

— Sûr, fit le pompier sans lever la tête. Dans son malheur, votre  papa a eu de la veine que ça tombe que dans le jardin.

— On va dire ça, ouais… Mais d’où ça a bien pu venir ces trucs ?

 

Le type se redressa. Il balança une nouvelle carcasse dans la brouette empruntée au vieux, et cracha sur l’herbe :

 

    — Putain j’en sais rien, mais ça me fout la gerbe toutes ces bestioles explosées. Et si jamais y en a encore un qu’essaye de m’expliquer que c’est un coup des Anglais, et qu’ils nous font pleuvoir des chiens et des chats sur la gueule, je vous jure que vous finissez sans moi !

 

Calgary, qui n’avait aucune envie de ramasser des animaux en bouillie au petit matin, se força à sourire :

 

— Craignez rien, Chef, je n'ai aucune théorie sous le coude. Mais j'ai bien peur qu'on n'ait pas fini d'entendre des explications fantaisistes.

— Pour sûr, affirma un second pompier sous le masque de protection qui lui prenait le nez et la bouche.

 

 Il s’approcha, jeta une boule de poils non identifiée dans la brouette et, se retournant, se retrouva face à la haute stature de Calgary. Il détailla le géant avec des yeux ronds, la bouche probablement ouverte derrière son masque. Pour se donner une contenance, le pompier se frotta la joue du dos de la main, puis se pencha vers la pelouse.

 

— Pour sûr qu'on n'a pas fini, reprit-il en essuyant ses gants sur l'herbe. Tiens, moi par exemple, pas plus tard que la semaine dernière, eh bien j'ai lu qu'au Moyen-Âge, les assiégeants catapultaient des cadavres de pestiférés dans l'enceinte des châteaux. Alors, ces clébards, d'un coup... 

— Ah ben vu comme ça... Et d'après vous, y viennent d'où ?   

— J'en sais rien, mais je prends pas de risques. Allez savoir ce que ça cache, toutes ces bêtes.

— Allez savoir, répéta Calgary, pensif.    

 

D’après ce que racontaient la radio et les journaux télévisés, le phénomène n’avait touché qu’une petite partie de la région, mais les dégâts étaient conséquents et il y en aurait pour des semaines de nettoyage. Et si personne n’était encore en mesure d’expliquer ce qui s’était produit pendant quelques minutes cette nuit-là, on n’entendait malgré tout plus parler que de ça.     

Calgary s’en foutait, il n’était pas bavard de nature. Et que ce soit la reine d’Angleterre, des assiégeants zoophiles, des extraterrestres ou des trafiquants de chiens qui aient ainsi bombardé la région, ne changeait rien à l’affaire. Ce qu’il savait, lui, c’est que le pire était peut-être encore à venir : il était allergique aux poils de chats.

 

 

— Bon…, fit-il en désespoir de cause. Vous restez trente secondes comme ça ? Je vais nous servir un truc à boire et je reviens. D’accord ? 
 

Comme si elle allait lui répondre…

Calgary fonça.
 

Lancé telle une locomotive folle dans la cuisine, il ouvrit à la volée un placard dont la porte rebondit sauvagement, lui éclatant la pommette. Au passage, et malgré sa joue qui le cuisait, il attrapa deux verres d’une main et empoigna la bouteille de whisky de l’autre sans s’arrêter près des glaçons. Revenant comme un bolide vers la salle de bains, il dérapa à l’angle du couloir, se rétablit péniblement et déchira la poche de sa veste à une poignée de porte. Lorsque enfin il se dressa dans l’encadrement de la porte, il se retint de faire : « Tatatinnnn… » en agitant son butin à bout de bras.
 

Sûrement l’instinct. La fille tourna enfin la tête vers lui et posa les yeux sur sa pommette éclatée, puis sur la poche de sa veste qui pendouillait lamentablement sur sa cuisse. D’un revers de manche, Calgary essuya sa joue qui pissait le sang et adressa un sourire de pur blaireau à la fille.
 

Un moment, il espéra une expression sur son doux visage… Tu parles… Que dalle. Impassible la blonde, limite méprisante même. L’inventaire des dégâts terminé, elle retourna faire les yeux doux au bec du robinet.
 

À ce moment précis, avec sa bouteille dans une main, les deux verres coincés entre les doigts de l’autre, sa pommette entaillée, son œil qui se fermait doucement et son unique veste ruinée pour l’éternité, Calgary se sentit bizarre.

En plus de jolies pensées concernant les bulles, Yukio Mishima avait également écrit de très belles choses comme : « S’il n’avait jamais existé de témoins de notre honte, on ne saurait pas ce qu’est la honte. »
 

Quand Calgary explosa enfin la robinetterie d’un coup de pied rageur, la fille ne lui fit même pas l’aumône d’un regard…
 

 « Fait chier, les gonzesses ! »

 

 
 

 
 



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